Fabien NaimonFabien Naimon est Game Designer et testeur quality assurance (QA). Après un BTS en informatique, sa passion du jeu vidéo l'a amené à obtenir un Bachelor, puis un Mastère en game design sur le campus bordelais de Ynov.
Game designer est un métier iconique du jeu vidéo. Quel est son rôle précis ?
Le rôle du Game Designer est de créer les règles du jeu et les mécaniques de gameplay avec lesquelles le joueur interagit. C'est lui qui définit comment le personnage va sauter par exemple (et s'il va sauter), si oui, à quelle distance, en hauteur ou non… Il est également le garde-fou de la vision du projet. Il établit la "façon" dont le joueur interagit avec le jeu. Les plus grandes "stars" du jeu vidéo telles que Amy Hennig (Uncharted, Legacy of Kain : Soul Reaver…) ou Hideo Kojima (saga des Metal Gear, Death Stranding…) sont des sortes de grands chefs d'orchestre, touchant à absolument tous les domaines, et surveillant chaque pôle de très près.
À partir de quel moment intervenez-vous dans le pipeline de production ? Qui sont vos interlocuteurs au quotidien ?
Nous intervenons, dans l'idéal, dès la pré-production, et nous suivons l'avancée du développement jusqu'à la fin de la post-production. Des modifications sur les systèmes interviennent régulièrement, et particulièrement en fonction des retours de playtests qui s'effectuent tout au long de la production. Les Game Designers parlent et communiquent avec absolument tous les pôles d'un studio de jeux vidéo, et particulièrement avec les QA (quality assurance), c'est-à-dire les processus de test, et les programmeurs.
Comment travaillez-vous avec le ou les concept artist(s) ? À quel point êtes-vous complémentaires ?
Globalement, les Game Designers sont ceux qui ont la "vision" du jeu. En studio, c'est un peu différent : ceux qui ont véritablement la vision sont les directeurs créatifs, et les Game Designers sont là pour "matérialiser" cette vision ainsi que pour définir la faisabilité de celle-ci. Les concept artists n'interviennent que rarement du côté des Game Designers, et inversement. En milieu étudiant, cela dit, les Game Designers doivent avoir l'oeil absolument partout pour s'assurer que le développement du jeu suit la vision qu'ils ont du projet, qu'ils partagent avec les autres membres de l'équipe.
Quelle est votre approche pour équilibrer jouabilité, narration, difficultés... ?
C'est une question qui n'a pas de réponse fixe, tout dépend du projet en cours. Les différents départements travaillent ensemble à la création et communiquent pour pouvoir établir des guidelines claires et précises à suivre tout le long du processus de production.
Comment gérez-vous les retours des joueurs ? La data science a-t-elle modifié les façons de travailler d'un game designer ?
Clairement, le principe de "data science" remonte aussi loin que la création des métiers du jeu vidéo. Cependant, les moyens de récolter ces datas ont changé. Aujourd'hui, les outils pour récolter des données suite à des playtests par exemple sont beaucoup plus accessibles et "user friendly" qu'avant, et différents départements tels que la QA peuvent prendre en charge cette partie pour soulager les Game Desi¬gners de certaines tâches trop chronophages. C'est visiblement parti pour durer, et la QA (si on la laisse faire) prend de plus en plus de place sur cette partie. La data science n'a pas révolutionné la façon dont les données sont récoltées, mais plutôt la façon dont les studios utilisent des outils servant à la récolter.
Faut-il se spécialiser dans un type de game design ou dans une fonction - environment designer, level designer… - pour évoluer dans ce métier ?
Tout dépend encore une fois de l'objectif visé. Si on veut travailler dans le jeu AA ou indépendant (indie game), il vaut mieux être un touche-à-tout très versatile, même si le secteur tend à se spécialiser de plus en plus. Cependant, pour travailler dans les plus gros studios (Ubisoft, Rockstar, CD Projekt, etc.), il vaut mieux être ultra spécialisé dans son domaine.
Quelle place prend aujourd'hui l'intelligence artificielle dans votre travail ? Peut-elle à terme menacer les emplois de game designer ?
Vaste débat… Pour ma part, je n'ai pas de réponse définitive à apporter. L'IA est sans aucun doute un outil d'avenir qu'il faut absolument maîtriser pour suivre ses progrès et évoluer avec. Prendre ce train en marche est vital pour ceux désirant se lancer dans le jeu vidéo. Cependant elle n'est pas, je pense, une véritable menace. L'IA peut créer à partir de quelque chose qui existe déjà, mais le cerveau humain peut créer à partir de rien. Et même si ce "rien" vient forcément de quelque chose, ce sera toujours plus créatif, plus soigné, plus profond et plus "délicat" que ce qui sera créé par une IA. Nous attendons toujours l'équivalent de la chapelle Sixtine ou de l'Ethique de Spinoza créé par une IA… Selon moi, ce n'est clairement pas près d'arriver.