
Les promesses graphiques d’Unreal Engine 5 ont fait rêver toute l’industrie – mais les problèmes de performance persistent. Tim Sweeney, PDG d’Epic Games, rejette (partiellement) la faute sur les développeurs.
Tim Sweeney, le sulfureux PDG d’Epic Games, a récemment réagi à la polémique récurrente sur les performances décevantes de son dernier moteur, Unreal Engine 5. Pour lui, ce sont avant tout les développeurs qui sont responsables de ces problèmes récurrents.
Lors de sa première présentation, Unreal Engine 5 a immédiatement attiré l’attention de tout le public avec des démos techniques impressionnantes et des arguments de poids. Le dernier moteur d’Epic se présentait en effet comme un raccourci révolutionnaire vers des graphismes de niveau AAA ; grâce à des technologies révolutionnaires comme Nanite et Lumen, les développeurs pouvaient soi-disant faire l’impasse sur le processus d’optimisation, exceptionnellement fastidieux et chronophage, sans faire de compromis sur la fidélité.
Les studios en prennent pour leur grade
Trois ans plus tard, force est de constater que la réalité est plus nuancée. Si UE5 a effectivement donné naissance à des titres visuellement somptueux, les performances restent assez éloignées de ce qu’avait promis Epic. Les développeurs continuent de pester contre l’instabilité globale du moteur, vulnérable aux fuites de mémoire et aux chutes de framerate.
Tim Sweeney s’est récemment exprimé sur ce sujet lors de la convention Unreal Fest, en Corée du Sud. Et comme souvent, il a un avis très tranché sur la question : pour lui, la faute revient surtout aux développeurs mal organisés qui n’utilisent pas son produit correctement.
" La principale raison réside dans l’ordre de développement ,de nombreux studios développent avant tout sur du matériel haut de gamme, et laissent l’optimisation et les tests de basse spécification pour la fin. Idéalement, l’optimisation devrait commencer tôt, avant le déploiement complet du contenu "
Sweeney a beau être coutumier des saillies provocatrices, il faut reconnaître qu’il n’a pas tout à fait tort dans ce cas précis. La démocratisation du hardware performant et l’arrivée de nombreux outils à la fois sophistiqués et faciles d’accès a révolutionné la façon de travailler des studios, pour le meilleur mais aussi pour le pire.
L’optimisation, un art qui se perd
D’un côté, ces évolutions ont permis aux studios de limiter l’impact des contraintes techniques et de se concentrer sur la dimension artistique. Terminée, l’époque où les développeurs devaient optimiser la moindre texture ou ligne de code à l’extrême pour rester dans les limites imposées par du hardware encore rudimentaire ; ils peuvent désormais travailler de manière bien plus intuitive et libérée, en se laissant porter par leur créativité.
Le problème, c’est que cela a aussi introduit une forme de complaisance dans le processus. Puisqu’un haut degré d’optimisation n’est désormais plus indispensable, de plus en plus de studios ont tendance à sacrifier cette démarche et à mettre tous leurs œufs dans le même panier : celui de la créativité.
Il faut aussi tenir compte de la pression souvent exercée par les éditeurs. Lorsqu’ils réclament un produit fini dans un délai court, poussant le studio à faire des concessions, c’est rarement l’optimisation qui s’impose face à la quantité de contenu. Et c’est bien dommage, car cette dynamique est en train de créer une perte de compétence regrettable dans l’industrie du jeu vidéo.
Pour l’illustrer, on peut citer John Carmack, grand architecte de plusieurs blockbusters historiques comme Doom et Quake. Il doit une grande partie de sa réputation légendaire à sa maîtrise quasi-inégalée de l’optimisation, et en a même fait une science à part entière. C’est grâce à cette faculté à innover en sortant de sa zone de confort qu’id Software a pu proposer des jeux aussi vastes, percutants et techniquement ambitieux, bien au-delà de ce que le hardware de l’époque semblait capable de gérer.
En d’autres termes, l’optimisation n’est pas seulement une contrainte ; c’est aussi une manière de repousser les limites du médium – un vrai catalyseur créatif, en somme. En reléguant systématiquement l’optimisation au second plan, l’industrie n’impacte donc pas seulement l’expérience des joueurs . Elle s’écarte aussi d’un terrain d’innovation très productif, ce qui pourrait avoir des conséquences regrettables sur le long terme.
Sweeney admet toutefois que dans ce nouvel écosystème, toute la responsabilité ne peut pas retomber entièrement sur les studios. Les développeurs des moteurs de jeu ont aussi leur rôle à jouer. « La complexité des jeux est bien plus élevée qu’il y a 10 ans, il est donc difficile de la résoudre uniquement au niveau du moteur ; les créateurs de moteurs et les équipes de jeu doivent collaborer », reconnaît-il.
Reste à voir si ses équipes joindront les actes à la parole, et si les efforts d’Epic permettront enfin d’enterrer la réputation d’usine à gaz qu’Unreal Engine 5 est en train de se construire.